Il y a deux jours encore, Laurent Gaudé était pour beaucoup, un inconnu.
Prix Goncourt 2004 tout de même, l’écrivain fait depuis peu le buzz sur la toile, depuis qu’un extrait de sa pièce "Le Tigre Bleu de l’Euphrate" (Actes Sud, 2002) a été livré en pâture aux plumes des candidats au bac français des sections S et ES.
Pourquoi le buzz ?
Parce qu’un Tigre peut en cacher un autre…
Parce que derrière les rayures étonnamment bleues du félin, s’esquissait en métaphore le fleuve éponyme du Moyen-Orient.
Sauf que le Tigre et l’Euphrate (cités au début de la Bible - c’est une athée qui vous le rappelle, ce'st dire), ça ne parle plus à grand monde…
Et c’est bien dommage.
Du coup, un tsunami de tweets colorés déferle sur le net soulignant la méprise (parfois avec humour) et souhaitant à Laurent Gaudé dans la foulée de leur ire, des lendemains qui ne chantent pas.
Lorsque j’ai passé le Bac (vers la fin du 20ème siècle), quand on se plantait, on se mordait les doigts de n’avoir pas su, pas compris, pas assez lu, pas appris. Puis, sur notre avenir perché, on jurait – mais un peu tard - qu’on ne nous y prendrait plus.
Désormais, les lycéens twittent, s’insurgent, invectivent, pétitionnent, demandent grâce.
Il faut croire que les temps ont changé…
Pour une fois que les profs faisaient l’effort de proposer un auteur contemporain…
Allez hop, l’année prochaine, ce sera Gérard de Nerval pour tout le monde (pour ceux qui l'ignoraient encore, je déteste Gérard de Nerval) !
Ca leur apprendra.
N’empêche, le texte de Laurent Gaudé, je l’ai trouvé très beau…
Cadeau :
« L'extrait se situe à la fin de la pièce, composée de dix actes. Une seule voix se fait entendre, celle d'Alexandre le Grand. Au premier acte, il se prépare à mourir et chasse tous ceux qui se pressent autour de lui. Il raconte à la Mort, qu'il imagine face à lui, comment le Tigre bleu lui est un jour apparu et comment il a su que le but de sa vie était de le suivre, toujours plus loin, à travers le Moyen-Orient. Mais, cédant à la prière de ses soldats, il cesse de suivre le Tigre bleu pour faire demi-tour.
[...]
"Je vais mourir seul
Dans ce feu qui me ronge,
Sans épée, ni cheval,
Sans ami, ni bataille,
Et je te demande d'avoir pitié de moi,
Car je suis celui qui n'a jamais pu se rassasier,
Je suis l'homme qui ne possède rien
Qu'un souvenir de conquêtes.
Je suis l'homme qui a arpenté la terre entière
Sans jamais parvenir à s'arrêter.
Je suis celui qui n'a pas osé suivre jusqu'au bout le tigre bleu de l'Euphrate.
J'ai failli.
Je l'ai laissé disparaître au loin
Et depuis je n'ai fait qu'agoniser.
A l'instant de mourir,
Je pleure sur toutes ces terres que je n'ai pas eu le temps de voir.
Je pleure sur le Gange
lointain de mon désir.
Il ne reste plus rien.
Malgré les trésors de Babylone,
Malgré toutes ces victoires,
Je me présente à toi, nu comme au sortir de ma mère.
Pleure sur moi, sur l'homme assoiffé.
Je ne vais plus courir,
Je ne vais plus combattre,
Je serai bientôt l'une de ces millions d'ombres qui se mêlent et
s'entrecroisent dans tes souterrains sans lumière.
Mais mon âme, longtemps encore, sera secouée du souffle du cheval.
Pleure sur moi,
Je suis l'homme qui meurt
Et disparaît avec sa soif. "
PS : Et surtout : n'oubliez jamais de lire !...