A force de plancher.
J’ai fait pleurer toutes mes maîtresses
Parce que je tenais mal mon crayon
Je me faisais tirer sur les tresses
Jusqu’à ce que les déliés soient ronds
Moi je m’en fichais je voulais écrire
On me disait c’est pas un métier
Sauf pour maîtresse qu’est un avenir
Ca vraiment je voulais éviter
Je grattais quand-même de l’informel
Des trucs qui parlaient de coccinelles
Aussi de l’amour qu’était dans le pré
Un jour j’m’en fous je serai publiée
J’avais bien trouvé journaliste
Histoire d’écrire toute la journée
Et cavaler la terre entière
Décrire le monde comme une artiste
Puis dire les beautés la misère
On m’a dit que c’était pas gagné
Sans vouloir jouer les alarmistes
Fallait aimer le chien écrasé
Ou la colonne des macchabées
Mon nom serait tout en bas de la liste
Un siècle il faudrait patienter
Avant qu’un jour je sois publiée
J’ai fait d’autres choses en attendant
Ornithorynque et couteau suisse
Des métiers drôles d’autres un peu chiants
Paraît que ma plume avait de la glisse
“Tu devrais écrire”, j’ai obéi
On aurait pu me dire que la plume,
Au bon endroit je l’avais pas mis.
Je me voyais pas changer de costume
Pour me fourguer comme un légume
Il restait donc à espérer
Qu’un jour qui sait à titre posthume
Ma belle salade soit publiée
J’ai tout de même pas lâché l’affaire
Me suis attaquée au polar
Vu que côté crime, y’avait de quoi faire
Sans remonter jusqu’à César
J’ai inventé une chouette histoire
Avec des flingues et puis des mecs
Une cibiche accrochée au bec
Ca faisait grincer c’était tout noir
Sauf que cloper il fallait plus
Puisque fumer maintenant ça tue
Puis les romans qui font flipper
Étaient beaucoup trop publiés
J’ai écrit des jolies nouvelles
Des fois même ça parlait d’avenir
Y’avait des trucs qui faisaient rire
D’autres aussi qui faisaient pleurer
Avec des rimes des mots de velours
Qui disent jamais ou bien toujours
et puis un peu de poil à gratter
On m’a dit madame nous ce qu’on aime
C’est seulement ce qui fait oublier
Philosopher c’est pas la peine
Faudrait penser à circuler
Y’a aucune chance d’être publiée
Je suis allée voir les éditeurs
Les gentils marchands de papier
Chez NRF chez Gallimard
La porte était très bien gardée
Mon manuscrit, l’avaient pas lu
J’avais pas la bonne particule
Sur la couv c’était ridicule
Z’avaient pas que ça à faire non plus
On m’a dit le mieux c’est d’oublier
Préférable de pas y penser
Les librairies sont saturées
Vous ne serez jamais publiée
Du coup j’ai repris mon p’tit sentier
Et hissé haut le drapeau blanc
Laissé la pelle dans le mortier
Sans blé et pas vraiment de talent
Faut dire ce qui est, c’est compliqué
Publier je devais l’enterrer
Moi je voulais juste être éditée
Car demandait d’être médité
J'ai fabriqué une boule
Avec tous mes écrits
Allumé un grand feu
Et puis j’ai tout détruit
Juste au milieu de l’allée
A côté de la foule
C’était beau c’était bleu
Les phrases agglutinées
Qui formaient de drôles de mots
Tordus sur le papier
Pareil à l'échafaud
Pour l'auteur malheureux
Comme gronde la houle
Montaient les larmes aux yeux
J’ai fini en prison
Menottes gyro et flics
Pour avoir mis le boxon
Trouble à l’ordre public
J’écrivais sur les murs
Des paroles un peu dures
Des mots qui font aimer
Personne me faisait chier
Je pouvais jouer les prodiges
Mais ca n’a pas duré
Remise de peine oblige
J’ai dû faire mes valises
Je me suis fait dégager
Faut trouver un métier
J’ai rangé les crayons
Sorti des beaux pinceaux
Et une idée pas con
J’écris des trucs nouveaux
"Femme méchante" "Mec en laisse"
"Défense de lire" ou bien de penser
J’suis la reine du panneau
Vendu sur internet
Port offert et prix nets
Peint sur planche recyclée
A des bobos branchés
Des afficionados
Des givrés des dingos
Je suis éditée...